Thursday, April 15, 2010

Paie et tais-toi, ou meurt ! dans les hôpitaux publics

Lettre ouverte à M. Philémon Yang, Premier Ministre du Cameroun

Par Christian E.Locka
Président de l’Association
Action pour l’Humanisation des Hôpitaux
Tel : +237 96781299
E-mail : c.locka@acthu.org
Site internet : www.acthu.org

Excellence, Monsieur Le Premier Ministre
Quelques semaines après votre prise de fonctions comme chef du gouvernement, le 30 juin 2009, vous avez bien voulu remettre une «feuille de route» à chaque département ministériel. Il s’agit d’une espèce de conducteur ressortant les priorités de la politique des «Grandes Ambitions» du Président de la République. Vous insistiez que ces instructions soient satisfaites au plus tard en fin d’année, soit six après leur mise en application. Après évaluation, vous avez trouvé le bilan globalement satisfaisant si l’on s’en tient aux articles lus dans certains medias.
Pour garantir la transparence sur toute la ligne et permettre aux populations d’avoir une idée claire, précise et nette sur la gestion du service public, il aurait été d’une grande utilité de dresser un bilan par département ministériel et le faire savoir. Néanmoins, nous nous faisons le devoir de revenir précisément sur la feuille de route du Ministère de la Santé publique pour relever d’entrée de jeu que même si elle souffre de quelques oublis tels le recrutement, la répartition et l’amélioration des conditions de travail et de vie du personnel de santé, cette feuille, reconnaissons-le, a eu le mérite de se pencher sur certains besoins réels de la population en matière de santé publique. Hélas, le fait que la plupart de ces instructions aient été ignorées en a rajouté aux multiples violations du Droit à la santé dans les hôpitaux au cours de l’année dernière.
En ce qui concerne par exemple l’administration générale et la gouvernance interne des hôpitaux, il était question que le Ministère de la santé publique produise des supports devant renseigner les usagers sur entre autres les actes de prestation, les tarifs des formations hospitalières publiques et les voies de recours en cas de litige. Il n’en a rien été. Ces repères auraient pourtant permis que l’on dissuade les démarcheurs postés aux alentours des centres hospitaliers toujours prêts à détourner les malades vers la clientèle privée.
La réalisation d’un site Internet bilingue avec l’extension du nom du domaine «gov.cm» assorti des liens utiles de certains organismes, voilà une autre instruction qui est restée lettre morte. A ce niveau, on ne peut dire que les moyens financiers ont manqué, loin s’en faut ; ce d’autant que, d’importantes sommes d’argent sont annuellement allouées à la cellule de communication de ce ministère. Le Minsanté est l’un des rares départements sinon le seul a avoir organisé entre Août 2009 et Mars 2010 trois conférences de presse très courues pour s’expliquer sur le sort réservé aux grandes pandémies. Nous ne connaissons pas le montant exact des factures tout comme nous ne remettons pas en cause l’opportunité de ces rencontres mais quand on sait que les noms de domaines des sites Internet s’obtiennent à moins de 20.000 f CFA, il y a de quoi s’étonner. Avant qu’il ne disparaisse de la toile de manière surprenante, l’ancien site Internet «Minsante.cm» était plus fourni en communiqués et comptes-rendus de conférences de presse qu’en informations pratiques à même de renseigner les usagers sur la carte hospitalière, la tarification des prestations, les adresses utiles ou les textes réglementaires.
Le plan de lutte du gouvernement contre la vente illicite des médicaments qui se résume à des saisies spectaculaires de produits querellés alors que leurs provenances sont connues donc maîtrisables, a rencontré le silence inquiétant du Ministère de la santé publique ; qui, d’après les recommandations de la feuille de route, était attendu sur le terrain de la répression avec l’obligation d’augmenter d’au moins 10% les stocks de médicaments saisis. Les vendeurs de ces médicaments semblent plutôt avoir fait la paix avec ceux étaient supposés être leurs bourreaux. Ils ont amélioré leurs conditions de travail en occupant pour la plupart des kiosques, ils paient les impôts et approvisionnent même les hôpitaux publics et privés. Pendant ce temps, les autorités sanitaires ameutent les médias, menacent, promettent de sévir. Toujours rien n’est fait. La même consigne avait été donnée pour les magasins, Groupes d’Initiatives Communes (Gic) de Santé et formations sanitaires clandestins ou non autorisés, mais c’est le même scénario théâtral qui s’observe. Parmi les promoteurs de ces structures illégales de santé qui poussent comme des champignons dans nos quartiers, on retrouve un nombre impressionnant de personnels et professionnels de santé du secteur public qui, rallongent la liste des morts de l’irresponsabilité professionnelle sous le prétexte d’arrondir les fins de mois difficiles. Le vide juridique dans ce créneau accroît l’impunité.
L’harmonisation des prix dans les hôpitaux publics est une autre urgence soulevée par la feuille de route qui est encore une vue de l’esprit. La réalité est que les subventions de l’Etat étant chétives, les dirigeants des hôpitaux publics en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés par le gouvernement choisissent d’autres systèmes de financement qui ne tiennent pas compte des réalités socio-économiques et culturelles. Cette « libéralisation » n’obéit pas à la cohérence et l’harmonisation qui ont toujours caractérisées le secteur public. Lorsque l’Etat démissionne ou cesse de respecter ses engagements vis-à-vis de ses citoyens comme cela semble se préciser dans le secteur hospitalier de notre pays, le vide qu’il laisse est subtilement comblé par les clients ou patients à travers des mécanismes opaques.
A titre d’illustration, arrêtons-nous si vous le permettez à l’hôpital Laquintinie de Douala pour constater que les malades y sont devenus par la force du «Code» de véritables vaches à lait. Le Code est un package composé de médicaments, des soins, de lits, des primes du personnel, des frais d’entretien et de maintenance, etc. Il prévoit que le malade est à la charge de l’hôpital et élimine par conséquent le garde malade. Mais, ces informations gardées secrètes sont le privilège d’une poignée de personnels du cercle restreint des décideurs de cet hôpital.
On peut comprendre que le secret soit jalousement gardé par les Directeurs généraux successifs puisque la mise en application du code fait apparaître l’arnaque. Par exemple, bien que le garde malade ne fasse pas partie des prévisions du Code, il est contraint de payer un ticket de 500fcfa parfois à son insu étant donné que cette information est machiavéliquement glissée dans le dossier médical. Que dire du droit à l’information lorsque les malades ne connaissent ni les raisons de l’avènement de ce système de paiement, ni son contenu, ni ses avantages, encore moins des voies de recours en cas de litiges ; mais, ils doivent payer, payer cher cet inconnu, s’ils veulent recevoir des soins. Dans un communiqué de presse publié le 27 janvier 2010, notre association dénonçait le fait que « les coûts des codes (…) ne sont révélés aux malades qu’à la caisse lors du paiement; les malades ne sont pas informés du contenu des codes, donc de tout ce qui leur est administré, parfois même pas de la durée du traitement. Un personnel peut alors ajouter ou retrancher un élément du Code, sans courir le risque d’être dénoncé. Tant pis pour les sujets allergiques à quelque produit ! « Paie et tais-toi ! » C’est la formule consacrée au Code. Les usagers continuent à payer des Codes de plus en plus vides…»
En dépit de ces abus, trois Ministres de la Santé publique et deux Directeurs généraux de cet hôpital ont approuvé les abus du Code, près de 80 % des recettes du budget 2009 de cet hôpital estimé à environ 3 milliards de f CFA ont été fournis par ce mode de paiement, les pièces officielles des usagers sont confisquées, les malades et cadavres séquestrés dans certains services faute d’argent pour régler les factures.
Le manque de transparence dans la facturation fausse les règles de la concurrence. Il n’est donc pas possible à l’heure actuelle d’étudier à fond l’offre en soins de cet hôpital qui se sert de sa position dominante pour arnaquer les usagers. En révélant toutes les informations relatives au Code, l’hôpital Laquintinie risque d’étaler au grand jour les défaillances de ce système et provoquer l’ire des usagers qui revendiqueront avec véhémence leurs droits quotidiennement violés (absence des lits, des médicaments, l’insalubrité ambiante, favoritisme et corruption (des personnels soignants qui aident les usagers à contourner le code contre espèces sonnantes et trébuchantes).
On pourrait ajouter à ce tableau des maladresses managériales le cas tout aussi édifiant de l’hôpital central de Yaoundé où les salles d’hospitalisation étaient souvent mises en location pour l’organisation des conférences publiques. Dans l’un et l’autre cas, le malade, qui est la raison d’être de l’hôpital, n’est pas consulté avant la prise des décisions. Il subit les reformes iniques qui débouchent sur les violations de ses droits et ne dispose même pas une brèche formelle pour espérer une réparation des torts. Il ne lui reste qu’à payer, se taire ou mourir ! Jusqu’à quand va t-on contenir les frustrations qui découlent de nombreux actes d’injustice sociale dans nos hôpitaux ? A quand la fin de la politique de l’embellissement des sépulcres si chère à nos dirigeants ?
Se soigner dans de bonnes conditions est un lourd investissement pour la plupart de vos compatriotes qui croupissent dans une misère indicible. En cas de malaise, ils font d’abord recours au «docta» du coin qui vend les médicaments de provenance douteuse et qui généralement a, aussi surprenant que cela puisse paraître, une solution à tout problème de santé ! Les indigents ne se résolvent à aller à l’hôpital que lorsque l’état de santé devient alarmant. Dans la plupart des cas, ce scénario se termine par un décès. C’est un discours constant et permanent que les pouvoirs publics feignent d’ignorer mais qui produit de la désolation dans nos quartiers au quotidien.
Il est important de construire de nouveaux hôpitaux, de renforcer les plateaux techniques, de recruter les personnels temporaires mais il serait mieux de toucher là où ça fait plus mal: l’accès économique aux soins. Dire à ce propos que le Service d’Aide d’Urgence Médicale (Samu), restreint à deux grandes villes, est un service public élitiste n’est pas une exagération. Du site de l’accident aux urgences de l’hôpital, le petit voyage à bord d’une ambulance non médicalisée coûte 10.000 f CFA. N’est-ce pas une fortune pour le conducteur de moto taxi qui fait péniblement une recette journalière moyenne de 2.000 f CFA ? Surtout que la destination est un hôpital où un mauvais maniement du langage de l’argent vous garantit d’autres traumatismes.
Le manque de volonté politique du gouvernement fait des ravages humains et éloigne notre pays des objectifs de santé publique. Il est donc urgemment question de :

• Respecter la totalité des instructions contenues dans la feuille de route du Ministère de la santé publique ;
• Respecter l’engagement pris par le Cameroun lors du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement en 2001 à Abuja au Nigeria d’allouer au moins 15 % du budget annuel à l’amélioration du secteur de la Santé, soit au moins 386 milliards CFA du budget 2010.
• Enclencher et accélérer la mise en place d’une assurance-maladie par le gouvernement pour améliorer la santé, réduire les inégalités et répondre promptement aux attentes des populations en matière de santé publique ;
• Instaurer une « journée nationale de l’hôpital » qui permettra de se pencher annuellement sur les problèmes spécifiques du secteur hospitalier au Cameroun (la disponibilité, l’accessibilité et la qualité des infrastructures, des soins, des équipements et des ressources humaines).
• Améliorer les conditions de vie et de travail des personnels des hôpitaux publics et CHU à travers notamment la prise en charge gratuite des personnels malades, le conflit de leadership entre les surveillants généraux et les conseillers médicaux, la confusion administrative entre les quotes-parts et les primes, etc) ;
• Supprimer immédiatement et sans condition le Code et autres systèmes de financement qui violent les droits fondamentaux des patients dans les hôpitaux et créer des espaces de recours en cas de litiges ;
• Exiger que les représentants des malades dans les comités de gestion des hôpitaux publics rendent régulièrement compte aux populations.

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